La rhinocérite
C'est
le seul moyen que j''ai trouvé pour que vous veniez lire ce texte. Tout
les moyens sont bons pour faire connaître Eugène Ionesco !
Alors ne partez pas et lisez !
La rhinocérite
Regardez
les gens courir, affairés dans la rues. Ils ne regardent ni à droite,
ni à gauche, l'air préoccupé, les yeux fixé à terre, comme des chiens.
Ils foncent tout droit, mais toujours sans regarder devant eux, car ils
font le trajet connu d'avance, machinalement. Dans toutes les grandes
villes du monde c'est pareil. L'homme moderne, universel, c'est l'homme
pressé, il n'a pas le temps, il est prisonnier de la nécessité, il ne
comprends pas qu'une chose puisse ne pas être utile; il ne comprend pas
non plus que, dans le fond, c'est l'utile qui peut être un poids
inutile, accablant. Si on ne comprend pas l'utilité de l'inutile,
l'inutilité de l'utile, on ne comprend pas l'art; et un pays où on ne
comprend pas l'art est un pays d'esclaves et de robots, un pays de gens
malheureux, un pays de gens qui ne rient pas ni ne sourient, un pays
sans esprit; où il n'y a pas l'humour, où il n'y a pas le rire, il y a
la colère et la haine. Car ces gens affairés, anxieux, courant vers
un but qui n'est pas un but humain ou qui est un mirage, peuvent tout à
coup, aux sons de je ne sais quels clairons, à l'appel de je ne sais
quel fou ou démon se laisser gagner par un fanatisme délirant, une
rage collective quelconque, une hystérie populaire. les rhinocérites à
droite, à gauche, les plus diverses, constituent les menacent qui
pésent sur l'humanité qui n'a pas le temps de réflechir, de reprendre
ses esprits ou son esprit, elles guettent les hommes d'aujourd'hui qui
ont perdu le sens et le goùt de la sollitude.
Notes et contre-notes de Ionesco